Le départ pour la louerie de la Saint Clair


La louerie de domestiques permettait aux paysans d'engager des ouvriers et servantes pour leurs travaux. Les domestiques louaient leurs services à l'année. Pour ceux qui étaient déjà placés ou ne changeaient pas de maître, le contrat de travail allait d'une Saint Clair à l'autre. A Creully, cela se passait le dimanche matin sur la place de l'église.
Ainsi voyait-on des jeunes filles quittaient la maison maternelle.


 Le départ pour la Louerie
- Surtout, reste ben en place.
- Oui, m'man.
- Satisfais ben tes maîtres.
- Oui, m'man.
Une larme pend aux cils roux de la fille rougeaude.         
La Toinette a eu seize ans aux Rogations.
Le père, tombé malade d'un chaud et froid, est mort l'automne que le gars est parti pour son sort. 
La mère s'est enfoncée une écharde sous le doigt et ne peut plus aller à ses journées.
- T'as-ty tout ce qui te faut ?
- Oui, m'man.
Et leurs bouches claquent le baiser d'a­dieu.
La Toinette embrasse toute la maison d'un regard mouillé: les deux lits à courti­nes, l'horloge, la table passée à la cire, boi­teuse, la cheminée avec sa crémaillère pen­dant comme une arête au-dessus des cendres froides ... et d'autres choses familières, avec lesquelles elle a toujours vécu.
Elle sort de sa poche un mouchoir à car­reaux, frais repassé, et sans le déplier, l'appuie sur sa bouche pour étouffer ses sanglots. Puis elle quitte la maison.
- Adieu, ma fille.
La Toinette se retourne et voit à travers ses larmes, sur le seuil de la porte, la mère pleureuse, vieillie sous sa bonnette ses jambes maigres dansant dans ses sabots.
- Adieu m'man.
Elle s'en va, ses hardes sous le bras, pro­prette avec sa jupe de droguet, ses souliers à clous, sa petite bonnette tuyautée ... elle s'en va vers la ville contant aux sentiers qui la connaissent sa douleur de les quitter.